Crise grecque : «Trop, c'est trop!»



En Grèce, «Syriza», mouvement de la gauche radicale, rassemble les foules. A Salonique, des milliers de personnes ont défilé pour protester contre les nouvelles mesures d'austérité et l'explosion du chômage. «Trop, c'est trop !», ont-ils dit devant les caméras. Panagiotis Grigoriou, notre blogueur associé, poursuit son récit politique de la crise grecque.


On a fait observer depuis longtemps que «[le] héros de la tragédie, emporté par son hubris, est évidement le peuple athénien (...)» [Cornelius Castoriadis, Thucydide, la force et le droit], et nous y sommes toujours et encore. Puis, des décennies durant, le despotisme culturel du Zeitgeist issu d'une certaine «spiritualité de masse», a fini par dévorer tout sens critique et peut-être bien, tout sens.

Nous étions même prévenus de «[la] négligence, et presque l'aveuglement, de la gauche et de son intelligentsia face à ce phénomène de la suffisance avec laquelle elles ont regardé la culture de masse en la considérant depuis toujours comme marginale par rapport à ce qu'elles présumaient être le vrai pouvoir : le pouvoir politique et le pouvoir économique. Les faits ont lancé un dur rappel : dans un renversement d'une énergie extraordinaire, ils ont montré que non seulement la culture de masse n'est absolument pas marginale, mais que la politique, l'économie et même la guerre se font aujourd'hui précisément à travers la culture de masse, gouvernant les goûts, les consommations, les plaisirs, les désirs et les passe-temps, les concepts et les représentations, les passions et le mode d'imagination des gens, bien avant leurs idées politiques. Le vote suivra et il semble difficile qu'il soit différent de ce que l'on prévoyait (…)», écrivait Raffaele Simone en 2008, au moment justement où «la crise» devenait... un concept massivement partagé (Le Monstre doux – L'Occident vire-t-il à droite ?). J'y ajouterais que dans sa majorité, l'intelligentsia du peuple de l'État «athèno-centrique», a été suffisamment nourrie aux... croquettes des subventions de l'U.E., ce qui nous ramène droit devant et en toute vapeur, vers les rapports économiques les plus essentiels. On pouvait tout dire, et tout faire dans ce pays, sauf mordre... la main nourricière et historiquement «invisible» du grand marché... toujours plus unique.

PLAINTE DÉPOSÉE
Le futur ne s'annonce pas plus facile mais au moins le vrai pouvoir, à savoir le pouvoir politique et le pouvoir économique sont de retour, crus et dévorants. La bancocratie dite «d'urgence» n'a plus besoin des emballages au même titre qu'avant, l'occident ne vire plus seulement à droite, il vire de bord, sauf que le vent bancocrate peut s'avérer bien mortel pour «la masse» d'abord, et pour sa «culture» ensuite. Nous le savons et nous le sentons tous les jours chez nous en franchissant nos portes ou en ouvrant nos fenêtres. Les Grecs massivement sublimés un temps (long) par le lifestyle de l'euro... primo-arrivant, découvrent désormais que le vrai rapport des forces est politique, de surcroît, à travers une géopolitique où la «culture de guerre» du fait financier, exercerait sur le restant de nos vies un contrôle totalitaire. Elle est in fine terrible parce qu'elle créé : des représentations, des comportements, des institutions et même une nouvelle «République» des méta-Lettres. Soyons lucides, nous assistons bel et bien à un processus accéléré de création historique dont nous ne sommes pas maîtres, pour le moment en tout cas. Et pour tout dire, cette nouvelle variante de la guerre, comme toutes les précédentes d'ailleurs, est créatrice d'irrationalité, de droit et de force.

Il était ainsi question d'irrationalité, de «droit» et de force, lorsque vendredi dernier (07/09), les partisans d'Aube dorée ont fait irruption par dizaines en plein milieu de la fête locale à Rafina, près d'Athènes, pour renverser tables et tréteaux à la foire du soir. D'abord, des députés Aubedoriens ont «contrôlé» les papiers et autres documents des vendeurs ambulants immigrés et lorsqu'ils ont «constaté des irrégularités», le signal était aussitôt donné aux groupes d'assaut pour «agir», exerçant violence sur les personnes, puis saccageant leurs stands. C'est vrai que la polémique a été immédiate, car Dendias, ministre de l'Intérieur du gouvernement de la Troïka... de l'intérieur, a voulu «rappeler que l'État, le droit et leurs prérogatives ne peuvent pas être usurpés de la sorte par des individus, même députés, ou par certains groupes» (déclarations du 08/09), une plainte a même été déposée visant les auteurs des faits.



SYRIZA, «UNE NOUVELLE FORME DE SOCIAL-DÉMOCRATIE» ?
Ce n'est guère rassurant et encore moins joyeux tout cela, d'autant plus que l'Aube dorée a répété ce genre d'action ailleurs en Grèce entre vendredi et samedi. Les médias se sont focalisés encore une fois sur cette Aube crépusculaire tout en minimisant la mobilisation populaire à Athènes et à Salonique, qui durant toute la semaine dernière fut importante et massive. D'abord, samedi dans la matinée, des retraités syndiqués du mouvement PAME, proche du P.C. grec (KKE) se sont réunis place de la Mairie à Athènes, puis, ils ont entamé une marche jusqu'à l'Assemblée. Selon le décompte de la police il y aurait plus de six mille manifestants, donc la manifestation fut bien massive. Dans son éditorial au journal du P.C., Rizospastis (09/09), la député communiste Liana Kanelli, estime que «ce petit jeux avec les mots est désormais terminé. La Démocratie, n'importe laquelle d'ailleurs, n'est plus, le terme même [démocratie] s'auto-annule en tant que mot. Surtout depuis que derrière l'étroitesse des portes et des fenêtres télévisuelles, des voix élues et non élues, admettent publiquement que l'acte final de l'exécution du peuple, du pays et de la patrie voyons, sera déterminé par les élections aux États-Unis. Pourtant, personne ne se révolte. Non pas parce que cette analyse serait erronée, bien au contraire : nous nous sommes fait auto-prisonniers de l'enfer du capitalisme occidental certes, mais nous ne devrions pas l'accepter. Nous ne devrions pas mais de fait, nous acceptons. D'autant plus que... la Gauche, premier parti de l'opposition [Syriza, le parti de la Gauche radicale], est en train de quémander un rendez-vous auprès des mandarins Européens (…)». Pour les communistes c'est clair : « Syriza est une nouvelle forme de social-démocratie, un Pasok en gestation ».

C'est vrai d'abord que les dignitaires de l'Euro-centre, refusent systématiquement toute rencontre avec Syriza, et de leur côté, les responsables du parti de la gauche radicale refuse toute rencontre avec les Troïkans. C'est tout autant vrai, qu'entre deux analyses (toujours aussi poignantes) sur les effets de la crise et sa programmation troïkanne et locale, le journal Avgi, proche de Syriza, entretient un débat assez mouvementé sur «les perspectives ouvertes à Syriza et le nouveau Pasok». Ce dimanche (09/09), Alkis Rigos, universitaire connu et cadre Syriza, prévient que «sous peine d'auto-annulation, Syriza ne peut pas devenir un Pasok bis» (Avgi, 09/09). La critique, implicite, s'adresse à d'autres cadres de la gauche radicale et aussi à Alexis Tsipras lui-même, qui dernièrement a ouvertement revendiqué une partie de l'héritage Pasokien. Je me dis parfois que venant de l'histoire, vaut mieux être déshérité pour s'en sortir... mais passons.

LA LUTTE
Heureusement dans un sens, que les milliers de personnes qui ont défilé samedi à Salonique pour protester contre les nouvelles mesures d'austérité dénonçant l'intensification de la politique d'austérité, l'explosion du chômage et l'aggravation de la récession, n'ont pas eu à s'occuper de l'héritage Pasokien. Issus des rangs de l'ensemble de la gauche et bien au-delà, les manifestants aux visages graves, ont fait défilé leur amertume, leur refus, leur désarroi, leur ultime espoir : la lutte. «Trop c'est trop», répétèrent souvent devant les cameras. Certains manifestants ont ainsi... logiquement brûlé le drapeau de l'U.E., séquence sans doute issue de la nouvelle sémantique des opprimés de l'Europe que la télévision suisse n'a manqué de montrer, contrairement à d'autres médias grecs et «eurozonés». Heureusement que le drapeau allemand a été épargné cette fois-ci, il serait tout de même malheureux que de réduire les attitudes de tout un peuple à la politique actuelle de Madame Merkel, même si une certaine rupture semble se dessiner entre les peuples du Sud et ceux du Nord de l'Europe.



Loin d'Athènes et très loin de Salonique, en Égée du Sud et dans un café, les vagues de l'actualité arrivent on dirait soumises, à l'imperium de la mer, déjà que le navire du matin a eu du mal à accoster par un vent du Nord de force 7. C'est dimanche après midi, et entre jeunes, on commente les événements marquants : «Avez-vous vu ce que l'Aube dorée a encore fait à Rafina ? – Oui, c'est encore fort. Ces gars ils exagèrent – Ils n'ont pas le droit de faire cela, ils ne sont pas policiers, bientôt, ils vont taper sur tout le monde si personne ne les arrête, qu'en pensez-vous ? - Personnellement je crois que la situation est grave, j'étais à Athènes avec un ami originaire d'Afrique, né en Grèce et scolarisé ici, parlant le grec mieux que nous, nous sommes tombés sur quatre gars de l'Aube dorée, nous nous sommes sortis si j'ose dire qu'avec des baffes, ces fascistes attaquent les immigrés, puis les homosexuels, puis la gauche et finalement tout le monde... Vous savez quoi, à Athènes et dans certains quartiers, des Aubedoriens osent sortir dans la rue un par un et insulter ou agresser les gens. Ils n'ont plus tellement peur car il y a toujours une dizaine parmi les citoyens qui les approuvent et les suivent, tandis que tous les autres passants grincent les dents mais ferment leur gueule, qui oserait faire venir la police ? Effectivement, durant la manifestation des policiers à Athènes [plus de sept mille manifestants, policiers, militaires et pompiers], très massive certes, et à l'annonce de la présence des élus Aubedoriens, la moitié des policiers-manifestants ont vivement applaudi, c'est aussi grave je crois... le pays alors s'effondrera mais pas l'Égée. Allez, faisons sortir les chats du café, nous fermerons pour la sieste ».

«VITESSE, LUTTE DE POUVOIRS, CHAOS, CRISE ÉCONOMIQUE...»
Je me souviens d'un couple de retraités vu à Salamine la semaine dernière. Sortant leur petit-fils en balade, ils se sont arrêtés au kiosque pour acheter le journal de l'Aube dorée. L'homme voyant que je l'observais, il a aussitôt plié son journal et le couple a ainsi repris son chemin précipitamment. « Espérons que leur chemin ne sera pas le destin collectif tout de même», a observé mon ami journaliste au chômage qui était présent.

Loin au Nord, les graffitis sur les murs de la capitale indiquent «qu'ils nous veulent esclaves » ou émigrés, et de toute façon dans la douleur. Ailleurs, et entre les grilles de certaines boutiques au centre, toujours et encore historique, on exhibe les photos des vieux acteurs du cinéma des années 1960. Il y a certains journaux qui osent pour une vingtième fois le même titre : «Krach à cause de la mauvaise récolte des impôts » mais plus personne n'y accorde de crédit, tout comme les banques d'ailleurs. Récemment, toujours à Athènes, j'ai constaté que les ambulances circulent encore et que des chaussures féminines, soigneusement entreposées à côté d'une benne à ordures, ont été récupérées en moins de dix minutes. Place de la Constitution, l'homme se présentant comme souffrant d'une tumeur au cerveau est de retour, ainsi que les chiens nous faisant penser à Loukanikos que je n'ai pas vu depuis longtemps. Pourtant et bien dans l'air de la protestation qui semble reprendre le chemin de la floraison, des citoyens, peut-être parmi les manifestants de PAME, ont déposé des fleurs devant l'arbre de Dimitri. Finalement l'hubris n'aurait pas emporté l'ensemble du peuple et on proteste aussi contre la prochaine augmentation du ticket de métro.

Voilà que les nouveaux slogans apparaissent au centre ville, au même rythme que nos sans-abri. Certaines salles de cinéma au centre d'Athènes, projettent «L'exercice de l'État», le film primé de Pierre Schoeller, «l’odyssée d’un homme d’Etat dans un monde toujours plus complexe et hostile. Vitesse, lutte de pouvoirs, chaos, crise économique…», selon le synopsis du scenario proposé sur le site allocine.fr.

C'est vrai que «[d]ans l'histoire, nous l'avons vu, la seule constante est un progrès dans les moyens de la puissance (de production et de destruction), et la lutte entre ceux qui possèdent cette puissance. Mais on y trouve aussi, de temps en temps, des floraisons extraordinaire comme la politeia des Athéniens, une sorte d'accomplissement unique, explicitement reconnu comme tel dans la description de Périclès [dans l'Épitaphe]» – [Cornelius Castoriadis, Thucydide, la force et le droit].

L'Europe certainement retrouvée dans ses création, mais pour la floraison on attendra je pense encore un peu sauf dans les îles de l'Égée. Car ailleurs, et pas loin de Salonique, à Chalkidiki ce dimanche (09/09), des manifestants s'opposant à l'exploitation minière par les nouveaux chercheurs d'or introduits par le Mémorandum dans ses nombreuses... appendices, ont été très violemment opprimés par les policiers (...manifestants ?) de Dendias. Balles en caoutchouc et nuages chimiques, les matraques en plus. Le député Syriza Vaggelis Diamantopoulos, ainsi qu'une manifestante de nationalité allemande figurent parmi les blessés selon les dépêches du dimanche soir, sur le site du quotidien économique Naftemporiki par exemple.

Giannis Millios, dans le journal Avgi de ce dimanche dénonce «ce blitzgrieg des banques contre les droits du monde du travail », tandis que Savas Robbolis estime que «la Grèce se transforme en pays asiatique pour ce qui est du droit du travail et des salaires», la première «zone franche» grandeur nature de l'U.E., effectivement... un progrès dans les moyens de la puissance de production et de destruction.



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